Ekapun Darunee

"long is the road to the moon."

je suis le matériel ; tu n'avais qu'à tendre la main et, sur ce plateau d'argent confectionné rien que pour satisfaire tes propres désirs, te saisir de ce qu'il te plaisait. Enfant pourrie gâtée jusqu'à la moelle, l'on cédait à chacun de tes caprices et tu savais en jouer à la perfection. Les poupées, tu en avais à ne plus savoir où les ranger. Les jouets en tous genres, tu n'aurais pas eu le temps de tous les utiliser. Piscine, cabane et trampoline, ce n'était également qu'un grain de poussière dans les comptes de tes parents - et ça aussi, tu le savais. Oh, tu demandais sans cesse et recevais tout aussi vite. Un coup de téléphone, une parole lancée à l'une des servantes et l'instant d'après l'on déposait l'objet de tes convoitises à ta porte. Et peu importe de ce qu'il s'agissait, tu l'obtenais toujours.

je suis l'enfermement ; trois chiens, six poissons, cinq chats et deux chevaux, les animaux venaient à toi comme s'ils étaient aussi achetables que toutes autres choses. Tu demandais, ils apparaissaient. Et leur compagnie effacèrent, l'espace de tes premières années d'enfance, la cage dorée qui t'enfermait. Oui, tu n'avais jamais eu à aller au parc, ton jardin faisait plusieurs hectares. Tu n'avais jamais été au cinéma, ta télévision possédait déjà les films n'étant pas encore à l'affiche. Et à quoi bon aller à l'école, tes professeurs personnels étaient bien plus compétents. Sans le savoir, tu restais surveillée et protégée en permanence, entre tes murs à l'architecture moderne et luxueuse. Était-ce de la peur venant de parents trop aimants ? Il est vrai que leur popularité était extrêmement présente et sûrement ne souhaitaient-ils pas te retrouver en première page de magasines people. Ou bien était-ce simplement de la facilité ? Au moins, ils savaient en permanence où tu étais. Et ils détestaient que les choses ne restent pas ainsi : carrées, propres et sans surprises.

je suis la taquinerie ; mais les surprises, toi, tu en étais la spécialiste. Toujours à courir dans tous les sens, tu as donné beaucoup de fils à retordre à ceux qui avaient la lourde tâche de t'éduquer. D'ailleurs, ta mère, généralement absente dû à son travail d'actrice, recevait bien souvent des coups de téléphone venant d'adultes paniqués suite à l'un de tes mauvais tours. Les remontrances ne tardaient que rarement par la suite, mais selon toi, cela valait le coup. Durant ces moments, au moins, tu t'amusais. Et parce que le temps avait passé et qu'à huit ans, tu finissais par t'ennuyer profondément, tu rêvais d'ailleurs, de découverte et d'inattendu - mais ici, dans ta maison à l'allure de manoir, tu n'avais toujours rien à faire.

je suis la lassitude ; les seules fois où tu quittais ton foyer - mis-à-part pour les vacances - tu t'en souviens dur comme fer, étaient afin d'accompagner ton père à l'agence qu'il dirigeait et dirige encore. Cette agence qui lui a permis de découvrir les joies de la richesse, cette agence qui se devait de devenir tienne. Pourtant, elle ne semblait pas t'intéresser. Les cours auxquels ton père aurait aimé te voir participer, tu ne t'y rendais pas et te contentais, à la place, de trainer dans les couloir. Et lorsque l'on évoquait ton avenir, tu tournais les talons et disparaissais. Tes proches se le demandèrent tous, quel était ton problème ? Mais tu le savais, ils n'auraient pas compris. Ce n'était pas que le chant ou la danse puisse t'agacer, mais les gens qui t'entouraient t'insupportaient. La plupart d'entre eux venait te parler en croyant naïvement que tu les aiderais à gravir les échelons sans efforts, mais tu n'en faisais rien et t'éloignais le plus possible de ces harpies crevant d'intérêt pour toi. Si ta famille, elle, pouvait le supporter, toi tu le prenais au contraire très à cœur. Alors, lorsque tu t'exprimais à propos de ce lieu, tu ne pouvais qu'être négative. Et une crise existentielle s'offrait à toi : tu voulais bien apprendre, mais pas ici, pas comme ça. Préférant mourir que de devenir trainee, tu préféras faire comme tu l'avais toujours fait : en prenant des cours à domicile. Et ces derniers te perfectionnèrent donc aux arts de la scène.

je suis l'image ; prendre de l'âge fut bénéfique pour toi. À quatorze ans, tu commençais enfin à quitter cette prison si chaleureuse qu'était devenue ta vie. Tu te pris d'intérêt pour la mode et l'esthétique en général, adorant offrir de toi une image propre et assumée ; et redoublant d'apparitions publiques, tu commençais enfin à apprécier que les regards te suivent après ton passage. Te faisant de plus en plus remarquée, tu compris également quel était ton grade dans la société - et il était bien plus élevé que tu ne l'aurais cru. Petit phénomène, si les médias thaïlandais n'avaient possédés, durant longtemps, que trop peu de photographies de toi, désormais ton nom résonnait dans d'innombrables articles accompagnés de ton visage parfaitement apprêté en page de couverture. L'on attendait tes débuts inévitables avec impatience, se demandant quel serait le futur flamboyant de la descendante Ekapun, mais tu ne leur offrirais pas cette joie. Et ça, tu le savais à l'instant-même où ta popularité commençait à prendre réellement de l'ampleur : un jour, tu partirais faire tes propres preuves, comme une grande. Même si, en attendant, tu aurais à devenir l'un des visages de la Thaïlande.

je suis le virage inattendu ; tu finissais par véritablement te prendre de passion pour les vêtements, les chaussures et bijoux. Fanatique de mode et de style, tu commençais même à imaginer une carrière dans le mannequinat qui ne t'aurais demandé que quelque coups de fil, ici, en Thaïlande. Si facile, si dénué de challenge. Tu avais beau avoir de nombreux projets - comme le fait d'intégrer un groupe -, de nombreuses envies qui débarquaient petit à petit, l'idée même qu'ils puissent se réaliser grâce à quelques connaissances te faisaient perdre l'envie d'obtenir quoi que ce soit. Seize ans, déjà bien affirmée et sûre de ce que tu voulais être, tu commençais à nourrir le besoin de construire quelque chose de tes propres mains. Toi aussi, tu voulais fournir un travail acharné. Toi aussi, tu voulais être admirée pour tes talents. Et bien trop lassée d'être « la fille de », tu décidas de couper court à tous préjugés en quittant ton propre pays d'origine. Là-bas, ils n'auraient jamais oublié qui tu étais et tu en avais déjà conscience à l'époque. Ainsi, tu allais essayer de conquérir les cœurs d'une nation qui ne te connaissait absolument pas.

je suis le commencement ; tout a commencé par une audition, comme pour beaucoup. Si tu avais toujours eu un accès privilégié aux agences se trouvant en Thaïlande, ce n'était pas le cas pour celles coréennes. Et c'est la boule au ventre que, pour la première fois, tu t'entraînas durant des semaines afin de plaire aux juges de la Star Entertainement - ils passaient dans ta ville et lorsque tu l'appris, ce fut une révélation pour toi. Tu voulais y entrer, coûte que coûte, et n'hésitas pas à enchaîner de nombreuses nuits blanches. Ton père ne comprit, d'ailleurs, pas ton changement d'attitude. Tu lui avais totalement caché tes envies et en dépit de ses questions, tu restas de marbre. Tu te rendis même à ton audition sans l'avoir mis au courant - lui ni personne - , car malgré ta confiance généralement infaillible, tu avais envisagé ton échec et n'aurais jamais été capable de l'annoncer à qui que ce soit. Mais pour ton bonheur le plus total, tu fus instantanément acceptée. Et tu ne le devais qu'à toi-même, même si, malheureusement, le plus dur restait à faire : l'annoncer à ta famille.

je suis la confrontation ; l'incompréhension était de mise. Ta mère, cette femme stricte qui pensait avoir élevé une jeune fille certes, un peu difficile, mais suivant un chemin tout tracé ; et ce père, homme ayant réussi et ne demandant à son enfant qu'à être sage et silencieux. Autant dire, un cocktail explosif auquel tu ne cédas pas. Ton choix était fait et ils n'auraient pas à le contester, quoiqu'il se passe. Tu t'expliquas donc longuement, jouant sur les mots et n'hésitant pas à parler de la propre expérience de ton paternel : si ses parents l'avaient empêché de quitter sa campagne natale, tu n'aurais toi-même jamais pu savourer la vie à Bangkok. Alors, face à tant d'arguments et de ténacité, ils firent comme ils en avaient l'habitude : ils acceptèrent l'un de tes énièmes caprices.

je suis la récompense ; arrivée à Séoul alors que tu n'avais toujours que seize ans, tu débutas ton entraînement. Tu ne t'attendais clairement pas à devoir fournir autant d'efforts, mais comme tous les autres, tu donnas ton maximum. Devant en plus apprendre la langue, tu eus beaucoup de peine à ne pas abandonner, mais ton dur labeur finit par payer. Après une année et demi, période étonnement courte, tu débutas aux côtés des quatre autres filles avec lesquelles tu formas par la suite Ivory. Tu choisis par ailleurs de prendre un nom de scène, Dani. Étant le surnom par lequel tu avais été appelée depuis ton arrivée en Corée, tu avais fini par l'apprécier et t'y habituer.