Zhao Da Xia

"hall of fame."

Tes yeux ne veulent plus se décrocher de cet écran à l'image grésillante, tant tu es subjuguée par la beauté de ce spectacle dont tu es la spectatrice intriguée, assise dans le modeste salon familial. Cinq ans tout juste et pourtant, ces quelques danseurs filmés pour un quelconque évènement suffisent à te donner une incontestable envie de reproduire ce que tu qualifies à l'instant de chef-d'œuvre. Les yeux émerveillés, tu le sens, tu viens tout juste de tomber amoureuse de ce sport que tu élève au rang d'art sans même l'avoir jamais exercé.


Ils tournent en boucle dans ta tête et tu ne peux t'empêcher de reproduire, approximativement, les gestes aperçus un peu plus tôt à la télévision - télévision ne diffusant qu'une unique chaîne, mais qui te suffit dès l'instant où l'on t'offre un peu de danse à contempler. Tu te sens bien, tu te sens légère et cette sensation, tu ne l'avais jamais ressentie avant. Alors, tu continues, à ne plus pouvoir te contrôler, à te faire mal aux chevilles sans même y prêter attention. Tu te fous de la souffrance, tu te fous de la beauté de tes gestes ; tu veux simplement danser.


Tu n'y connais toujours rien et pourtant, tu ne t'arrêtes plus depuis des semaines, tes propres parents te demandant parfois de te calmer. Mais qu'y peux-tu ? Tu en rêves, nuits et jours ; tu veux leur ressembler, être aussi douée que ces artistes dont tu ne peux oublier les mouvements. Et bien que tu ne sois qu'une enfant, tu sais déjà que tu feras tout pour les surpasser - même si, pour l'instant, ton destin semble te guider pas à pas vers l'usine où tes parents ne sont que de simples ouvriers sous-payés.

Il faut ramener de l'argent à la maison et l'école, trop chère, est bien vite mise de côté. Tu te rend au travail chaque matin, aux côtés de ta mère, mais tu n'oublies pas et te mets, petit à petit, à marcher sur la pointe de tes pieds dès qu'il te faut bouger d'un endroit à un autre. Tu t'entraînes à chaque instant, à chacun de tes gestes quotidiens - et les années qui passent ne peuvent que pousser tes parents à admettre le fait que tu sois véritablement passionnée.

Ouverts d'esprit, ils te soutiennent et te font une promesse ; tu étudieras un jour la danse. Tu y crois, sans oser l'espérer pour autant, ne voulant tomber de haut. Et les jours s'enchaînent, tandis que tu continues à consacrer ton temps à la seule et unique chose captivant ton attention, sur les mêmes chansons qui se répètent encore et encore, au point que tu connaisses désormais chacune de leurs mélodies par cœur.


Tu n'en crois pas tes oreilles. Tes parents, tickets de train à la main, viennent de t'annoncer ton départ imminent pour Pékin, l'examen d'entrée pour l'Académie de Danse s'y déroulant bientôt. Tu ne peux contenir ta joie et sautes dans leurs bras sans plus de cérémonie - tu comprends à quel point ce dut être un sacrifice financier pour eux et tu leur en es terriblement reconnaissante, tu les aimes tellement. Mais tu le leur revaudras, tu leur rendras au centuple tout ce qu'ils ont pu te donner, tu t'en fais la promesse. Dans quelques années, tu leur offriras une vie plus luxueuse qu'ils ne pourraient jamais se l'imaginer.


Ton père est à tes côtés et, ensemble, vous apprenez la bonne nouvelle ; tu as été acceptée. Onze ans tout juste et un nouveau voyage qui débute, bien qu'il te faille encore rentrer à Xi'an afin de faire tes bagages et partager cette joie avec ta mère. Mais, pour toi, tout a déjà commencé. Chaque instant se déroulant à partir de ce moment fait déjà partie de ta nouvelle vie - et tu ne peux plus attendre, trop excitée à l'idée de recevoir un enseignement te permettant de devenir enfin quelqu'un, de devenir enfin toi-même.



Plus de quatre ans viennent de s'écouler et aujourd'hui est particulier. Ta mère fête son anniversaire et bien que tu ne puisses aller la voir, tu ne peux raccrocher le téléphone te permettant de lui parler. Elle te manque, tu lui manques et tu rêves de pouvoir enfin la revoir, ainsi que ta maison, ainsi que ton père. De temps à autres, ta vie d'avant te rend nostalgique et tu te demandes si tu aurais été heureuse, en cet instant, sans avoir mis les pieds à Pékin. Quelques secondes de doute bien vite balayées ; tu vis un rêve éveillé et tu ne veux pas le quitter. D'ici peu, tu seras enfin diplômée et chacun de tes efforts pour y parvenir seront récompensés. Tu te l'imagines déjà, tu te vois danseuse étoile et tu trépignes d'impatience à l'idée que, bientôt, l'on t'applaudira pour ça.


Tu te retrouves face à un choix cornélien auquel tu ne te serais jamais attendue. Devenir celle que tu rêvais d'être, avec l'hypothèse que le succès ne t'atteigne jamais ou tout plaquer, jouer la sûreté et te lancer dans l'industrie musicale coréenne. Tu ne sais pas, tu ne sais plus et tu maudis la proposition que l'on t'a faite suite à une compétition à laquelle tu ne souhaitais, au départ, même pas participer - tu maudis d'avoir à te décider. Et soudain, tu oublierais presque la raison pour laquelle tu dansais. Par envie ? Par besoin ? Pour l'argent ? Pour la reconnaissance ? Tu n'en as plus aucune idée et tu te demandes si tu devras jouer l'espoir ou la raison. Mais une promesse faite il y a de longues années te frappe tout à coup de plein fouet, comme une évidence.


Tu as décidé, il y a peu, de tout plaquer. Tu as signé dans une agence d'un des pays voisins et tu t'apprête à quitter cette Chine que tu aimes tant ; mais tu n'en es même pas triste. Tu es sûre de tes choix et commencer un entrainement afin de débuter par la suite dans un groupe te parait être une véritable mine d'or. Loin d'être vénale, tu te haïrais presque de te laisser guider par l'argent et l'envie d'offrir à tes parents une vie aisée - mais tu le sais, il ne s'agit pas que de cela. Tu es curieuse, tu te demandes quel défi tu es encore capable de relever - et ce besoin de découvrir l'inconnu te motive bien plus que n'importe lequel des salaires.

Tu es une chanteuse pitoyable, tu as de la peine à apprendre cette nouvelle langue et tu continue, en parallèle, tes cours afin de pouvoir être diplômée - un emploi du temps plus que chargé et compliqué, mais auquel tu as étonnamment pris goût. Dépasser tes limites, tu en as l'habitude ; et ce projet, tu comptes le réussir haut la main, d'autant plus que cette fois, tu n'es pas seule.


Si tes parents t'ont toujours soutenue, c'est seule que tu avais pris l'habitude de t'entraîner et progresser, ignorant tout du simple mot entraide. Mais ces filles, avec lesquelles tu pensais ne jamais t'intégrer, devinrent une véritable famille qui t'épaula tout au long de vos années trainee - et si tu découvris détester chanter, tu finis par aimer le faire, du moment que ce soit à leurs côtés. Elles te permirent d'évoluer, d'apprendre à te connaître et t'aimer ; et si parfois tu te demandes encore quel aurait été ton destin en tant que danseuse étoile, tu ne regrettes pas ta venue à Séoul et les connaissances que tu t'y es faite.