Dong Wook devait être à l’agence à dix heures, lui avait-on dit. Et il se surprenait lui-même, car depuis qu’il avait commencé sa carrière de backdancer, il avait pris l’habitude d’arriver avant quelques bonnes minutes d’avance sur son planning. Histoire de faire bonne impression, probablement… Même si, bon, il devait bien l’admettre : se lever pour ce boulot-là était nettement plus motivant que pour aller récurer le plancher. Il avait été un peu dubitatif quand il avait passé les auditions – exactement comme ça c’était passé quand il avait tenté celle pour devenir trainee. Il ne savait pas trop dans quoi il se lançait et même si cette carrière aurait de quoi lui plaire. Mais pour l’heure, il ne se plaignait pas, admettant que c’était tout de même plus gratifiant.

Le seul revers de la médaille, c’était qu’on avait encore un peu tendance à le rappeler à sa condition de balayeur. Pas qu’il reniait cette partie de sa vie : ce n’était pas dans ses habitudes. Mais se faire entendre dire qu’il n’avait rien à faire sur un plateau de tournage était tout de même drôlement agaçant. Les gens commençaient doucement à se faire à l’idée… Mais ce n’était pas encore tout à fait ça.

La preuve en était ce matin même. Le nord-Coréen était arrivé à l’agence à neuf heures quarante-cinq. Il s’était présenté en coulisses, on l’avait envoyé balader. Fier, et non sans toiser son vis-à-vis, il avait brandi sous son nez un passe attestant de sa présence en tant que backdancer. Et bim. L’autre avait marmonné, avant de toiser, un peu aigri. Dong Wook n’avait certes pas manqué de répartie, comme à son habitude. Mais ces longues minutes l’avait mis à fleur de peau, aussi s’était-il isolé quelques minutes à l’extérieur, le temps qu’on ne l’appelle.

Assis sur une marche de l’agence, il se surprit à sortir une cigarette. Il ne fumait que rarement… Mais plus ça allait, plus il se surprenait à apprécier la chose de façon fréquente. Le stress, peut-être. Aussi, il glissa un cylindre de tabac entre ses lèvres, qu’il alluma rapidement. Le temps que le tabac ne se brise en cendres, il observa les alentours. Des gens allaient et venaient à l’agence, sans lui porter attention. Il ne s’en formalisait pas, être tranquillement dans son coin lui convenant tout à fait.

Néanmoins, une jeune femme attira bientôt son attention. Elle était une des têtes connues de l’agence. Genre… Leader du groupe avec lequel il devait tourner ce matin. Dong Sun lui avait déjà présenté, en détour d’un couloir. Ils n’avaient échangé que peu de mots jusqu’à là… Mais ce peu avait suffi à laisser un assez mauvais feeling à Dong Wook. Il toisa la jeune femme, qui avait l’air pressé, hésita. Puis il finit par lâcher : « C’est à cette heure qu’on arrive, madame la leader d’Ivory ? »Même si la phrase se voulait être une taquinerie, le ton employé laissait deviner une certaine sournoiserie… A plus forte raison que c’était assorti d’un léger haussement de sourcil sarcastique.

Fin des vacances. Je suis de retour en Corée mais aussi à l'agence pour reprendre mes activités, ce qui me fait pas mal de changement niveau horaires. On a un été pourri en plus, il se passe pas un beau jour sans qu'on ravale notre joie du soleil. Mais  je suis contente d'être à nouveau occupée, on nous a tellement habitués à bosser que ça en devient bizarre d'avoir beaucoup de temps pour soi.

Comme on s'est pas bien reposés ces derniers jours, je profite de quelques minutes de tranquilité pour faire la baleine échouée sur un fauteuil dans le dressing-room, réfléchissant à la situation vraiment awkward avec Saejin : j'ai jamais accepté ma bisexualité, et c'est pas parce qu'il s'agit d'elle que ça va changer. Si bien que je préfère réduire le nombre de nos interactions et me limiter à ce qui est professionnel, sait-on jamais. Car les relations entre filles... EW.

Quelques minutes avant le tournage, je presse le pas pour rejoindre mes consoeurs, mais j'ai soudain l'impression d'être le centre d'investigation d'un inconnu qui me reproche de n'arriver que maintenant. « C’est à cette heure qu’on arrive, madame la leader d’Ivory ? » Par réflexe, je regarde par-dessus mon épaule, histoire de m'assurer que Saejin n'est pas derrière moi. Hé non, elle l'est pas. Quelqu'un doit vraiment revérifier les infos qu'il a sur les Ivory... ou c'est nous qui devons actualiser nos photos sur le site officiel du groupe ? Non, j'ai jamais ressemblé à à Jin. « Je pense qu'on me l'aurait dit, si j'étais la leader. » je réponds, agacée par son regard. Quand nos yeux se croisent, j'ajoute dans un petit rire, faussement contente de le revoir : « Ah, c'est toi, le pote de Dong Sun ! Je t'ai pas reconnu sans ton balai. » Oui, je mets le feu aux poudres, mais c'est lui qui a commencé.

« Bon, d'accord... » Je tends la main vers lui comme pour demander s'il a de quoi écrire, regardant ailleurs. « Puisque t'as fait tout ce chemin pour avoir un autographe, je vais être gentille et t'en donner un. » Même si je suis pas la leader. Après tout, j'ai eu ma petite vengeance, et je vois pas pour quelle autre raison il serait venu.

Fail. Tant pis. Pour sa défense, Dong Wook aurait toujours pu dire qu’il n’était pas fan des Ivory. Il avait certes du entendre une ou deux de leurs musiques, par-ci par-là… Mais de tête, il aurait été bien incapable de citer un seul titre. Quoi qu’il en soit, Ra Hae le rappelle à l’ordre, signifiant qu’elle n’était pas la tête du groupe. Le jeune homme reste silencieux, se trouvant malgré tout un peu con sur le moment. La chanteuse se tourne finalement vers lui, semblant le remettre. Elle toise un peu, faisant ce dont il avait horreur depuis quelques temps. Il devait rester calme, et ne pas exploser. En temps normal, il n’aurait probablement pas hésité à rembarrer sèchement sa vis-à-vis et à l’envoyer mourir sans plus de cérémonie, mais vu la situation professionnelle, mieux valait peut-être éviter de se faire trop virulent. Au cas où Ra Hae aurait la brillante idée d’aller cafter et de le faire virer en un claquement de doigt, quoi ! Du coup, le nord-Coréen sert les dents, foudroie du regard, se contentant d’un « Ha-ha. » cynique. « Et j’m’appelle Dong Wook, au passage. » ajoute-t-il, histoire de ne pas rester juste « le pote de Dong Sun ». Pas que c’était honteux. Mais c’était toujours plus agréable de se faire appeler par son nom.

Pour la suite… Dong Wook ne manque pas de dévisager la jeune femme, quand celle-ci tend la main pour récupérer un support à signer, comme si la situation coulait de source. Il hausse un sourcil, se demandant sérieusement pour qui elle pouvait bien se prendre. Ça sentait un peu la force de l’habitude, mais… Là, il trouvait ça complétement risible et franchement hautain, comme réaction. Laissant un petit rire jaune franchir ses lèvres, il finit par ajouter : « Désolé d’te faire déchanter, mais j’suis pas venu pour ça. » Il aurait bien ajouté qu’il ne pouvait pas supporter sa voix chantée, par pure provocation, mais : la déontologie, une fois encore. Ceci étant dit, il fouille dans sa poche pour tendre le badge d’accès au plateau qui lui avait été confié la veille. « Va falloir t’habituer à me voir sans mon balai. » ajoute-t-il, fixant d’un œil sournois Ra Hae en train de lire le laisser-passer.
Sitôt le badge lui est-il rendu, il tire une dernière latte sur la cigarette quasiment entièrement consumée. Le mégot est jeté au sol et piétiné d’un coup de talon, avant qu’il ne remonte les marches menant au hall d’accueil de l’agence. Il se retourne un instant, jetant un coup d’œil à Ra Hae. « Ça va, tu t’en remets ? » demande-t-il, avant d’ajouter aussitôt, brusquant un peu : « Faut qu’on se bouge. Même si t’es pas la leader du groupe, ça ferait tâche que tu sois à la bourre. » Chose dite sur un ton assez peu bienveillant, malgré la forme.

Un sourire amusé étire mes lèvres tandis que je corrige son information, sourire qui s'efface quand il me dit son nom. « Ra Hae. » Ca me fait assez bizarre de constater que quelqu'un travaillant à l'agence sait pas exactement qui je suis, si bien que je ressens le besoin de le dire à haute voix. Gaspillage de salive à mon avis, étant donné qu'il y aura pas besoin de se revoir, mais je tiens à le corriger.

Bon, finalement, on a eu droit à notre petit moment embarrassant tous les deux. D'un rire, il m'annonce qu'il ne fait pas partie de mon fanclub. Puis quand ça devient plus explicite, je regarde ailleurs, embarrassée, lâchant un "incroyabe..." à peine audible. Cependant, ce qui est encore plus surprenant, c'est comment monsieur justifie l'absence de son balai. Un pass ? Lui ? Vraiment ? « N'importe qui peut devenir danseur maintenant... » je commente, à voix basse, sans détacher mon regard du badge que je tiens entre mes mains. Non il n'est pas moche, rien ne dit qu'il n'a aucun talent caché, et tout comme Dong Sun a réussi à intégrer un groupe, un autre Monsieur Propre peut avoir sa chance. Mais ça reste choquant.

J'aurais vraiment préféré qu'il reste l'ami d'un ami mais il parait qu'on soit obligés d'interagir à l'avenir, vu la nature de nos métiers respectifs. « Ça va, tu t’en remets ? » N'ayant pas bougé d'un millimètre, je secoue légèrement la tête et avance dans la même direction, sans répondre à sa provocation. Je lui tends mon sac et le lâche presque aussitôt pour l'inciter à le prendre dans ses mains, comme s'il venait de m'annoncer que l'agence l'avait engagé pour porter mes trucs. « Tiens, porte ça au moins. » Petite vengeance qui peut vite devenir un énième moment embarrassant car je l'imagine capable de juste laisser tomber le sac.

« Te fais pas de soucis pour moi, je risque pas grand-chose si j'arrive en retard, c'est pas comme si c'était mon premier jour de travail. » je réponds, supposant que c'est son cas, dans le but de lui faire comprendre qu'il pourrait se faire virer en tant que newbie. Je me retiens d'ajouter que j'aurais déjà rejoins les autres, s'il m'avait pas retenue. « Bon, je me suis présentée, mais me parle pas devant les autres, je veux pas qu'on sache qu'on se connait... dis-je, soucieuse, sait-on jamais si quelqu'un le reconnait. au fait, pourquoi changer de métier si soudainement ? C'est Dong Sun qui t'a motivé ? »

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